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Burford, Petersen et l’affaire contre l’Argentine et YPF
Plus de dix ans après que le gouvernement argentin a pris le contrôle de la plus grande compagnie pétrolière et gazière du pays, YPF S.A., le mois dernier, la juge Loretta Preska du tribunal de district des États-Unis a déclaré la République argentine coupable dans le cadre de réclamations de deux actionnaires minoritaires. La juge Preska a estimé qu’YPF elle-même n’était pas coupable, car la société n’a pas violé ses statuts en n’exigeant pas du gouvernement argentin qu’il rachète les actions des actionnaires minoritaires par le biais d’une offre publique d’achat au moment de l’expropriation.
L’intérêt mondial et national pour cette affaire est resté élevé pour de nombreuses raisons. Au moment de sa nationalisation en 2012, YPF, l’une des plus grandes entreprises d’Argentine, était sur le point de tirer d’énormes bénéfices des gisements de pétrole de schiste de la formation géologique argentine de Vaca Muerta. La prise de contrôle de l’entreprise par la présidente de l’époque, Cristina Fernández de Kirchner, a été à la fois populaire et profondément conflictuelle. Ses partisans ont salué cette décision comme un pas en avant vers l’indépendance énergétique nationale, tandis que ses détracteurs l’ont qualifiée « d’un acte illégal et injustifiable » [1] qui allait encore nuire, et peut-être de manière irrévocable, à la crédibilité de l’Argentine auprès des investisseurs étrangers.
Compte tenu de l’importance de cette affaire très controversée et des effets d’entraînement qui ne manqueront pas de se poursuivre, nous vous proposons une explication des événements.
YPF et les Eskenazis
Pour comprendre l’affaire, il faut savoir que les actionnaires minoritaires concernés étaient les frères Eskenazi, qui entretenaient depuis longtemps des relations d’affaires avec les Kirchner. Les frères ont acquis 25 % d’YPF par le biais d’une transaction non conventionnelle : pour financer l’achat, les Eskenazi ont reçu 1,685 milliard de dollars de prêts de Repsol (la compagnie pétrolière espagnole propriétaire d’YPF) et 1,688 milliard de dollars de la part de différentes banques internationales. Ces prêts ont été accordés à « Petersen Energía » et « Petersen Energía Inversora », deux sociétés espagnoles détenues par les Eskenazis. Les sociétés Petersen ont ainsi acquis leur participation de 25 % dans YPF sans apports personnels.
Repsol et les banques (les prêteurs) ont convenu que le remboursement des prêts serait financé par les futurs dividendes d’YPF. Le président de l’époque, Néstor Kirchner, a « persuadé » Repsol d’accepter cet arrangement, arguant que l’entrée de capitaux locaux dans l’industrie pétrolière argentine profiterait à la fois à l’entreprise espagnole et à l’économie argentine.
Nationalisation d'YPF et faillites de Petersen
Bien qu’il ait acquis une participation de 25 % dans YPF par l’intermédiaire des sociétés Petersen, le gouvernement argentin a voulu aller plus loin.
En 2012, l’administration Kirchner a exproprié 51 % des actions d’YPF détenues par Repsol. Cette mesure – un événement crucial approuvé de manière retentissante par le Congrès national – a été combinée avec l’arrêt par le nouvel actionnaire majoritaire (l’Argentine) de tout paiement de dividendes, déclarant une politique visant à canaliser les bénéfices de l’entreprise vers l’investissement dans la production future d’énergie et non vers la valeur pour l’actionnaire [4].
Avec l’arrêt du versement des dividendes, les sociétés Petersen n’ont pas été en mesure d’honorer leurs prêts d’acquisition en cours. Cela les a incitées à initier des procédures d’insolvabilité en Espagne. L’insolvabilité a conduit à l’exécution de la garantie du prêt, ce qui a eu pour conséquence que 6 % des actions d’YPF sont revenues à Repsol et que les 19 % restants ont été attribués aux créanciers financiers.
L'action en justice de Burford Capital et Eton Park contre YPF et l'Argentine
Après la renationalisation d’YPF en 2012 et la faillite des entreprises Petersen, le fonds anglais Burford Capital Ltd. et les fonds américains Eton Park ont acquis les créances contre YPF et l’Argentine auprès d’entreprises qui étaient actionnaires minoritaires de la compagnie pétrolière, y compris Petersen.
Qui étaient ces nouveaux acteurs ?
– Burford Capital est une société de gestion financière et d’investissement qui fournit des capitaux et des financements au secteur juridique. Elle se concentre principalement sur le financement de litiges et d’arbitrages et ses actions sont cotées aux bourses de New York et de Londres. Eton Park Capital Management était un fond spéculatif axé sur les marchés des actions publiques et privées, qui a fermé en 2017 en raison de mauvaises performances et de retraits d’investisseurs. En fournissant le capital pour souscrire au contentieux, Burford s’attend à recevoir une grande partie des dommages-intérêts recouvrés. Les plaintes ne précisent pas les dommages pécuniaires, mais le paiement final pour le bailleur de fonds du litige pourrait se chiffrer en milliards de dollars. Apparemment, le marché a partagé cet optimisme et le cours de l’action de Burford a bondi de 66 % le jour de la décision de la juge Preska.
Les fondements des plaintes contre YPF et l'Argentine
– Les plaintes contre YPF et l’Argentine étaient fondées quant à la manière dont la nationalisation de la compagnie pétrolière a été effectuée. Les plaignants ont fait valoir que l’expropriation par l’Argentine nécessitait une offre publique d’achat auprès de tous les actionnaires, conformément aux statuts d’YPF. L’expropriation par l’Argentine des actions de Repsol aurait dû donner aux actionnaires restants la possibilité d’augmenter leur participation au prorata. Comme YPF est cotée à la bourse de New York, les plaignants ont pu déposer leur plainte devant le tribunal du district sud de New York, ce qu’ils ont fait en avril 2015. Plusieurs articles de presse ont laissé entendre que Repsol, la famille Eskenazi et même des représentants du gouvernement argentin étaient à l’origine de la plainte de Burford, mais tous ont nié leur implication.
Le jugement et ses conséquences
Dans sa décision de mars 2023, la juge Preska a tenu le gouvernement argentin pour responsable de ne pas avoir proposé d’acheter les actions des autres actionnaires au moment de l’expropriation en 2012. Elle a estimé que les statuts d’YPF n’obligeaient pas l’entreprise à mettre en œuvre l’offre publique d’achat et que c’était l’actionnaire acquéreur (l’Argentine) qui était responsable de ne pas l’avoir fait.
La décision de la juge Preska a différé l’évaluation des dommages en raison du manque de preuves quant à la date à laquelle l’Argentine a effectivement pris le contrôle des actions d’YPF. Néanmoins, la décision comprend une formule permettant de calculer les dommages-intérêts une fois que la date effective de prise de contrôle sera déterminée. Quelle que soit la décision, la capitalisation boursière d’YPF s’élève actuellement à 8,576 milliards de dollars et le montant des dommages-intérêts sera important. Bien que le résultat final reste indéterminé, la responsabilité potentielle crée de sérieuses inquiétudes pour un pays qui souffre déjà de turbulences macroéconomiques.
Notes de bas de page
[2] WSC Legal, en collaboration avec Jones Day, a conseillé un créancier des actionnaires minoritaires, qui faisait l’objet d’une procédure de faillite involontaire en Espagne.
[3] Les entreprises Petersen étaient étroitement liées au gouvernement par des contrats de travaux publics et des accords bancaires mutuellement avantageux, depuis l’époque où Néstor Kirchner était gouverneur de la province de Santa Cruz (1991-2003) jusqu’à sa présidence et celle de Cristina Fernandez de Kirchner. Voir https://www.lanacion.com.ar/economia/eskenazi-un-constructor-y-banquero-amigo-de-kirchner-nid973367/ and https://www.revistaei.cl/2012/04/21/familia-eskenazi-los-socios-argentinos-que-cristina-fernandez-dejo-en-ypf/#.
[4] Privatisée en 1993, YPF a été une entreprise publique pendant la plus grande partie de son histoire. La présidente Fernández de Kirchner a soutenu que la renationalisation était un moyen pour le pays de recouvrer la souveraineté sur ses ressources naturelles et elle et ses alliés ont considéré Petrobras, le géant pétrolier public brésilien, comme un modèle pour l’Argentine. Selon eux, Repsol versait des dividendes excessifs et, en sous-investissant dans la production, ne parvenait pas à répondre aux besoins énergétiques du pays. L’expropriation d’YPF a eu lieu peu après la découverte de vastes gisements de gaz et de pétrole de schiste à Vaca Muerta, une formation du bassin de Neuquén, un autre facteur qui a motivé le choix du moment.
[5]https://www.reuters.com/legal/litigation/column-this-billion-dollar-case-against-argentinas-ypf-wouldnt-exist-without-2023-04-03/ L’article note que le communiqué de presse de Burford du 2 avril « indique qu’avant d’ajouter les intérêts avant jugement, les réclamations de Petersen pourraient s’élever à 7,5 milliards de dollars, Burford étant censé récupérer 35 % ». Les dommages-intérêts d’Eton Park, avant intérêts, pourraient s’élever à 900 millions de dollars, dont Burford obtiendrait 70 % ».
Pour plus d’informations
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